Justice pénale

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Le Syndicat de la magistature contribue au suivi de l'exécution de l'arrêt CEDH JMB c France du 30 janvier 2020 en produisant des observations devant le comité des ministres du Conseil de l'Europe.

Quatre années se sont écoulées depuis la condamnation de la France par la CEDH et la recommandation d’adopter les trois mesures suivantes : supprimer le surpeuplement carcéral, améliorer les conditions de détention et établir un recours préventif.

Dans son plan d’action réactualisé en décembre 2023, la France continue d’en référer aux effets escomptés de la LPJ (loi de programmation pour la justice) du 23 mars 2019 et de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Le recul est pourtant suffisant pour constater qu'aucune de ces deux lois n’a permis ne serait-ce qu’un ralentissement de l’accroissement de la population carcérale. C’est même le constat inverse qui doit être dressé.

Nos observations à la suite de l'actualisation du plan d'action du gouvernement français, le 29 décembre 2023.

Arrêt CEDH JMB et autres c. France - nos observations sur le plan d'action de la France (173.27 KB)

Le Syndicat de la magistrature a été entendu le mardi 14 novembre 2023 par la mission d’information de l’Assemblée nationale relative à la hausse du nombre de refus d’obtempérer et l’usage par les forces de l’ordre de leurs armes dont MM. Thomas Rudigoz et Roger Vicot sont les co-rapporteurs.

A partir du questionnaire transmis par la mission d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale, le Syndicat de la magistrature souhaite développer ses observations autour des deux problématiques qu’il identifie sur les deux grandes questions examinées :

- Quel rôle peut jouer l’autorité judiciaire face à la hausse des refus d’obtempérer ?

- Le traitement judiciaire des tirs policiers mortels après refus d’obtempérer, en forte augmentation également, doit-il évoluer ?

En préambule, il est important d’indiquer que notre analyse s’appuie notamment sur les observations et pratiques des magistrats en juridictions : parquetiers, juges d’instruction, juges des enfants et juges correctionnels. Il s’agit d’une analyse empirique qui doit nécessairement être croisée avec les analyses issues de la recherche.

A cet égard, il nous faut déplorer la pauvreté des données produites par le ministère de la Justice aux fins d’évaluation de l’activité judiciaire. En dehors de données quantitatives qui ne renseignent que sur les volumes d’activité, le ministère de la Justice ne produit pas de données statistiques utiles pour évaluer le travail de la Justice. Tous les travaux s’intéressant à l’impact de l’action de la Justice sur les comportements individuels et les phénomènes sociaux pâtissent de cette carence.

Ce défaut d’outils d’évaluation a été déploré à de très nombreuses reprises, notamment à l’occasion de travaux parlementaires. Il est encore souligné dans le récent rapport de la commission d’enquête sur les groupuscules violents en manifestation dont le rapporteur est M. Boudié. La recommandation n° 1 est : « Améliorer les outils statistiques dont dispose le ministère de la justice afin de dresser un état des lieux pertinent, exhaustif et précis de l’ensemble des procédures et condamnations pénales, selon le contexte dans lequel les infractions ont été commises ». Elle pourrait être reprise à l’identique pour le présent rapport.

Vous trouverez nos observations complètes ci-dessous.

Observations du Syndicat de la magistrature - mission d'information sur la hausse des refus d'obtempérer et l'usage des armes (239.95 KB)

Nous appelons les parlementaires à abroger le délit de « groupement en vue de la préparation de violences », l’une des dispositions pénales floues qui, récemment encore, à l’occasion des manifestations contre la réforme des retraites, se révèle être une importante entrave au droit de manifester pacifiquement. Cette réforme est urgente et nécessaire.

Cette infraction sert, depuis le mouvement Gilets jaunes, de fondement pour placer en garde à vue des centaines de manifestantes et de manifestants, et contribue à la criminalisation des mouvements sociaux. Elle est utilisée pour empêcher les personnes de continuer de manifester du seul fait qu’elles auraient en leur possession certains objets considérés par les policiers comme pouvant jeter la suspicion sur celles-ci (exemple des lunettes de piscine) ou seulement parce qu'elles se trouvaient dans la manifestation au mauvais moment.

L’ironie veut que ce soit ce vendredi 17 novembre 2023, soit cinq ans après le coup d’envoi du mouvement des gilets jaunes, que nous ayons dû alerter à nouveau les parlementaires sur ce constat alarmant sur l’état de nos libertés publiques et que nous leur ayons rappelé l’urgence d’abroger cette disposition que la doctrine appelle un délit de « convenance policière ».

Depuis 2019, nos organisations ont à plusieurs reprises documenté le fait que les autorités utilisent cette infraction comme fondement pour arrêter et poursuivre des manifestantes et des manifestants sans disposer de suffisamment d’éléments pour permettre de raisonnablement penser que ces personnes sont impliquées dans la préparation de violences.

Ce « délit de groupement » qui sanctionne l’accomplissement d’actes préparatoires de manière vague et sans qu’il y ait un lien suffisamment étroit et direct avec la commission d’une infraction principale, a été créé en 2010, par la loi renforçant la lutte contre les violences de groupe et la protection des personnes chargées d’une mission de service public, en ces termes :
« Le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende » (article 222-14-2 du code pénal).

Des alertes récurrentes sur les risques de violations des droits humains

La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a dénoncé, le 26 février 2019, les nombreuses interpellations sur le fondement de l’article 222-14-2 du code pénal en raison de la détention d’objets jugés suspects par la police, parfois de manière contestable (un masque de plongée ou un gilet jaune par exemple), au point qu’elle s’est demandée « si l’objectif ainsi poursuivi n’est pas davantage d’empêcher la participation à une manifestation que de réprimer la commission d’une infraction » (§39).

En juillet 2020, le Défenseur des droits (DDD) a rendu un avis cadre faisant part de son inquiétude quant à « l’utilisation de plus en plus récurrente du droit pénal depuis plusieurs années, tant par l’instauration d’infractions, que par les consignes diffusées auprès des fonctionnaires aux fins d’exercer la mission de maintien de l’ordre » se référant notamment à l’infraction de groupement.

En février 2021, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s’est inquiétée « du recours excessif à des procédures de police judiciaire détournées de leur finalité dans un objectif de maintien de l’ordre, en ce qui concerne (...) les gardes à vue pratiquées massivement en amont de certaines manifestations ».

Des craintes renouvelées à l’occasion des manifestations contre la réforme des retraites

Plus récemment, la Défenseure des droits s’est notamment inquiétée des « conséquences d’interpellations qui seraient préventives de personnes aux abords des manifestations » car « cette pratique peut induire un risque de recourir à des mesures privatives de liberté de manière disproportionnée et de favoriser les tensions ».

Le 3 mai dernier, la Contrôleure générale des lieux de privation de libertés (CGLPL) a rendu publiques ses observations à l’issue des contrôles des conditions de privation de liberté des personnes interpellées dans le cadre ou en marge des manifestations en mars, dans plusieurs locaux de garde à vue dans la capitale.
Elle a noté que « la majorité des personnes entendues par les contrôleurs ont indiqué contester les infractions mentionnées sur leurs fiches d’interpellation - en particulier la “participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens", retenue contre nombre de personnes indiquant avoir simplement participé à la manifestation ou souhaité y participer et dont rien (...) ne permet d’établir que leur comportement aurait justifié une intervention des forces de l’ordre ». Elle a également relevé qu'alors que « 80% des procédures sont classées sans suite une fois opéré le contrôle de l’autorité judiciaire, la minorité de personnes déférées (...) quitte le tribunal libre », après avoir néanmoins passé « près de 24 heures en garde à vue ».

« Un recours massif à titre préventif à la privation de liberté à des fins de maintien de l’ordre public »

La CGLPL a conclu qu’elle ne pouvait, dans ces conditions, que « questionner la finalité réelle » de ces gardes à vue et dénoncé « un recours massif à titre préventif à la privation de liberté à des fins de maintien de l’ordre public ».

L’une des principales infractions qui permettent ces interpellations massives et ces placements injustifiés en garde à vue, mettant à mal la liberté de manifester, est celle de l’article 222-14-2 du code pénal, en fonction de l’appréciation subjective des éléments constitutifs de l’infraction par les services de police.

Tout acte préparatoire amené à être incriminé doit avoir un lien suffisamment étroit et direct avec la commission d'une infraction pénale principale, avec un risque réel et prévisible que l'acte soit effectivement commis.

Nos associations sont d’autant plus inquiètes, que le 15 novembre dernier, lors de la conclusion de la mission d'information sur l'activisme violent, un député recommandait le maintien de ce délit tout en suggérant l’augmentation de la peine encourue et ce, sans tenir compte ni de l’arbitraire dans les interpellations et les privations de liberté, ni de l'atteinte à la liberté de manifester.

En conséquence, Amnesty International France, la LDH (Ligue des droits de l’Homme), le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature demandent aux autorités d’abroger cette disposition du code pénal qui est utilisée pour limiter indûment les droits humains et entraver la liberté de manifester.

Kim Reuflet - Présidente du Syndicat de la Magistrature
Judith Krivine - Présidente du Syndicat des Avocats de France
Patrick Baudouin - Président de la LDH      
Jean-Claude Samouiller - Président d’Amnesty International France

 

Appel - abrogation délit de groupement (116.83 KB)

La surpopulation dans les prisons atteint des sommets et, seul contre tous, le gouvernement rejette explicitement la seule option qui permettrait de les désengorger dans l’urgence : un dispositif contraignant de régulation de la population carcérale. 34 associations, syndicats et institutions lui demandent de s’y résoudre.

Alors que la surpopulation rend la situation des prisons explosive, les appels convergent de toutes parts : il est urgent de mettre en place un mécanisme qui contraigne les acteurs judiciaires et pénitentiaires à réguler la population carcérale. Eux-mêmes le demandent, aux côtés de tous les acteurs de terrain.

Ils ne sont pas seuls : de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme au Contrôle général des lieux de privation de liberté, en passant par le Conseil économique, social et environnemental ou encore des parlementaires[1], tous exhortent le gouvernement à avoir le courage politique d’agir. Le 10 octobre, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe invitait elle aussi « les autorités à expérimenter un mécanisme contraignant de régulation carcérale ».

Mais cette unanimité se heurte à un gouvernement plus sourd que jamais : « la France ne souhaite pas instituer un mécanisme législatif contraignant de régulation carcérale, lié à un seuil de criticité, qui pourrait attenter au principe de l’individualisation des peines et fragiliser la sécurité publique », assume-t-il dans un document adressé le 1er septembre au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. La fin de non-recevoir est claire.

En réalité, aucun des dispositifs contraignants de régulation carcérale proposés n’empêcherait les magistrats de continuer à rendre leurs décisions au cas par cas. La libération de nombreuses personnes détenues en fin de peine pendant la crise sanitaire liée au Covid-19 a montré que, loin d’être risquée, une telle opération pouvait produire des effets rapides à la mesure de l’urgence. À l’inverse des politiques mises en place depuis des dizaines d’années, que les autorités françaises entendent poursuivre en dépit d’un résultat dramatique : sur les 73 693 personnes détenues au 1er septembre, près de 50 000 s’entassaient dans des prisons où le taux moyen d’occupation frôle 145%, et 2 361 dormaient sur des matelas à même le sol.

Il n’est plus possible d’accepter qu’en France, les personnes détenues soient soumises à des conditions inhumaines. Sans attendre les nécessaires réformes de fond, une solution d’urgence existe et fait l’objet d’un large consensus : une régulation carcérale, qui doit absolument être contraignante pour produire des effets. Il est grand temps que le gouvernement s’en saisisse.

 

Surpopulation carcérale : seul contre tous, le gouvernement s’oppose à une solution d’urgence (357.78 KB)