Justice civile et sociale

Le 18 janvier, nous avons été entendu·es – en urgence compte-tenu d’une modification du calendrier de l’Assemblée nationale – sur une proposition de loi visant à allonger la durée de l’ordonnance de protection et à créer l’ordonnance provisoire de protection immédiate, déposée par une députée de la majorité. Adoptée par la commission des lois la semaine dernière, cette proposition de loi est discutée ce jour en séance publique.

Nous nous sommes opposés à l’allongement de la durée initiale de 6 à 12 mois des mesures prononcées au titre de l’ordonnance de protection, afin, d’une part, de préserver la nature provisoire de l’ordonnance de protection, mesure d’urgence préalable à une évaluation plus complète de la situation familiale, et, d’autre part, de tenir compte du caractère attentatoire aux libertés des mesures pouvant être prises et de la prolongation des effets de l’ordonnance en cas de saisine du juge aux affaires familiales.

S’agissant du projet d’ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI), nous avons indiqué que ce nouveau dispositif pouvait être intéressant pour assurer une protection immédiate (dans les 24 heures) de la partie demanderesse, mais qu’il convenait de mieux évaluer le besoin auquel ce dispositif répondrait, que nous identifions comme pouvant correspondre à des situations « infra-pénales ». Par ailleurs, nous avons questionné l’intérêt de confier ce dispositif au juge aux affaires familiales, qui devrait statuer dans les 24h sur la base des éléments joints à la requête, avant de re-statuer dans les 6 jours à la suite de l’audience contradictoire. A ce stade de la procédure, à l’instar du dispositif prévu en matière de protection de l’enfance, compte tenu de son rôle de préservation de l’ordre public de protection, l’intervention du parquet pourrait s’avérer plus pertinente. Dans tous les cas, nous avons soutenu que la situation actuelle des juridictions, au siège comme au parquet, ne permet pas la mise en place effective d’un tel dispositif à moyens constants.

Enfin, la proposition de loi crée un délit distinct de non-respect des mesures imposées par l’ordonnance provisoire de protection immédiate, puni plus sévèrement que le délit de non-respect des mesures imposées par l’ordonnance de protection. Nous avons fait valoir que protégeant une même valeur – le non-respect d’une décision de justice – il ne nous paraissait pas cohérent de prévoir deux pénalités différentes, et que nous étions opposés à une augmentation de la répression de ce délit.

Vous trouverez nos observations détaillées ci-dessous.

Observations sur la proposition de loi créant une ordonnance provisoire de protection immédiate (101.6 KB)

Le projet de décret portant simplification de la procédure d’appel en matière civile est en cours d’examen au Conseil d’État.

Une réforme tant attendue

La réforme dite « Magendie » ainsi que la réforme de 2017 ayant notamment introduit les délais du circuit court, ont entrainé une « surcharge procédurale ». Les textes souvent dépourvus de clarté, parfois contradictoires, pensés dans une logique de gestion de flux, se sont en effet multipliés. A cela s’est ajoutée une surenchère de la part de juridictions d’appel asphyxiées, tentées de penser la sanction procédurale comme un filtrage qui ne dit pas son nom.

La nécessité d’une réforme de la procédure d’appel fait donc l’objet d’un large consensus des praticiens et des universitaires. Elle a été encouragée par la jurisprudence de la CEDH avec l’arrêt Lucas c. France du 9 juin 2022, ce dont la Cour de cassation a manifestement pris acte dans sa jurisprudence récente, revenant sur un formalisme processuel excessif.

Si le garde des Sceaux s’était engagé, à « desserrer les délais », le comité des états généraux de la justice avait, de manière plus ambitieuse, préconisé une réforme profonde visant à l’allègement du formalisme de la procédure d’appel.

Une concertation à géométrie variable

La version finale du projet de texte n’aura été soumise aux organisations syndicales qu’une semaine avant le comité social d’administration des services judiciaires (CSA-SJ) du 22 novembre où elles devaient se prononcer pour avis. Cette version était pourtant profondément différente de la version initiale qui nous avait été soumise, sans pour autant remédier aux difficultés soulevées. En à peine quelques jours, les syndicats devaient donc pouvoir consulter leurs adhérents et définir une position sur une réforme technique majeure, touchant aux principes fondamentaux du procès civil et qui aura des conséquence d’importance sur l’accès au juge d’appel.

Lors du CSA-SJ du 22 novembre 2023, nous avons appris que nos principales propositions avaient été rejetées, la DACS nous ayant indiqué que contrairement à notre demande, « la philosophie Magendie a été maintenue car cela faisait consensus au sein du groupe de travail notamment composé de la Conférence nationale des premiers présidents et du Conseil national des barreaux ». Elle a précisé qu’elle comprenait et respectait qu’il puisse y avoir une autre philosophie de l’appel, celle que nous défendions, mais qu’elle avait été clairement écartée par le groupe de travail.

Alors qu’était venu le temps de promouvoir, en droit interne, la fin d’un formalisme processuel excessif de l’appel en matière civile, les autres organisations syndicales ont préféré, à l’exception notable de la CGT, valider sans aucune réserve, un projet de décret plus que décevant, aujourd’hui examiné par le Conseil d’État.

Une vision étriquée de la procédure civile

Comme nous l’avions déjà dénoncé dans nos observations relatives à la précédente mouture du projet, si certaines propositions vont dans le sens d’une clarification, la logique de gestion des flux reste au coeur ce décret qui maintient, par ailleurs, des interprétations de textes et des constructions jurisprudentielles allant à l’encontre des attentes des praticiens mais également des justiciables.

Ainsi, ce décret prévoit notamment la procédure sans audience devant la cour d’appel, introduit une mise en état qui ne dit pas son nom dans la procédure à bref délai au risque d’asphyxier définitivement la justice d’appel, élargit les compétences du conseiller de la mise en état dans le circuit ordinaire, venant entraver l’accès au juge d’appel et confirme un circuit court enserré dans des délais procéduraux qui n’ont aucun sens au regard des délais d’audiencement des cours d’appel.

Par ailleurs, cette dernière mouture abandonne – étonnamment – l’augmentation des délais pour la procédure ordinaire alors qu’il s’agissait de l’une des mesures phare de cette réforme. Cet allongement des délais, annoncé par le garde des sceaux, répondait à une forte demande des praticiens. Cet abandon, répondant à un prétendu consensus du groupe de travail pourtantcontraire à la demande des praticiens, ne peut qu’interroger alors même que les statistiques du ministère de la Justice de 2019 démontrent l’absence d’impact positif des délais imposés par les décrets « Magendie » sur la durée de traitement des appels et que les dossiers dont l’instruction ou la mise en état est clôturée attendent des mois, voire des années, leur audiencement, en raison des difficultés récurrentes en ressources humaines et matérielles des juridictions d’appel.

Enfin, ce projet de texte prévoit un changement total de numérotation des textes régissant la procédure à bref délai et de la procédure ordinaire. Ce changement sera source de complexification pour les praticiens dans la différenciation des deux procédures, alors même que l’assimilation de textes sans cesse modifiés, renumérotés, rarement à droit constant, n’en est, à l’évidence, pas favorisée.

 Dès lors, ce projet de réforme laisse un goût amer. La Chancellerie disposait en effet d’une opportunité de mettre en placeune procédure civile proportionnée et adaptée au but poursuivi : faciliter l’accès au juge d’appel dans le respect d’un procès équitable. Elle a manifestement échoué.

  Réforme_de_la_procédure_d'appel_observations_SM (619 KB)

Réforme_de_la_procédure_d'appel_propositions_SM (320 KB)

Partant du constat assez unanime que les décrets dits « Magendie » n’ont pas atteint leurs objectifs, la direction des affaires civiles et du sceau prépare un décret réformant la procédure civile d’appel.

Si le garde des Sceaux s’est simplement engagé, devant les avocats, à « desserrer des délais », le comité des états généraux de la justice (EGJ) avait, de manière plus ambitieuse, préconisé une réforme profonde visant à l’allègement du formalisme de la procédure d’appel, ce qui laissait espérer un décret à la hauteur de cette ambition.

Certaines des réformes proposées vont bien dans le sens d’une clarification attendue de la procédure d’appel et la promesse d’un desserrement des délais semble tenue. En revanche, le « paradigme nouveau de l’appel » qu’a appelé de ses vœux le groupe de travail sur la justice civile des EGJ n’est pas à l’ordre du jour.

En effet, au terme de treize années d’application de la réforme Magendie et de cinq ans de mise en œuvre de la réforme de 2017 ayant notamment introduit les délais du circuit court, il convenait de prendre acte de la « surcharge procédurale » qui en a découlé du fait de la démultiplication de textes souvent dépourvus de clarté, parfois contradictoires, pensés dans une logique de gestion des flux d’une justice civile en péril, du fait également d’une surenchère de la part de juridictions d’appel asphyxiées tentées de penser la sanction procédurale comme un filtrage qui ne dit pas son nom.

Sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme ayant condamné la France pour violation de l’article 6§1 de la CEDH en raison d’un formalisme excessif de la procédure d’appel (Lucas c. France, 9 juin 2022), le temps était venu de promouvoir, en droit interne, la fin de ce formalisme processuel excessif de l’appel en matière civile.

Telle n’est pourtant pas la voie choisie par le ministère.

Nous déplorons d’abord la méthode retenue par la chancellerie pour élaborer ce projet : présenté comme le fruit d’une réflexion ouverte, ayant largement associé les magistrats et avocats grâce à de « nombreux échanges » avec les équipes de la DACS lors des déplacements en juridictions, il s’appuie en réalité quasi exclusivement sur les réflexions d’un groupe de travail dont la composition assure, certes, une certaine expertise, mais dont la méthodologie reste méconnue. La DACS, se cantonne à une vision purement technique de la procédure, sans aucune réflexion ni sur les principes qui la sous-tendent, ni sur la philosophie générale de la réforme.

Cette vision étriquée de la procédure civile trouve écho dans un projet manquant d’ambition.

Le projet de décret, en privilégiant des interprétations de textes et des constructions jurisprudentielles au détriment d’autres, ne répond malheureusement pas aux attentes et objectifs qui devraient être assignés à cette refonte de la procédure afin de promouvoir une procédure civile proportionnée et adaptée au but poursuivi : assurer l’accès au juge d’appel dans le respect d’un procès équitable.

Pire, la logique de gestion des flux reste de mise, alors que s’accumulent les preuves tant de son inefficacité pour améliorer les délais de traitement des procédures, que de ses effets délétères sur la qualité de la justice. Ainsi, ce décret sera celui de l’introduction de la procédure sans audience devant la cour d’appel, de la consécration d’une interprétation défavorable aux justiciables du formalisme exigé pour que l’effet dévolutif de l’appel opère, d’une confirmation d’un circuit court enserré dans des délais procéduraux qui n’ont aucun sens au regard des délais d’audiencement des cours d’appel, ou encore d’une définition des compétences du conseiller de la mise en état venant entraver l’accès au juge d’appel.

 

Observations du Syndicat de la magistrature sur le projet de réforme de la procédure civile d'appel (873.97 KB)

Propositions du Syndicat de la magistrature - projet de réforme de la procédure civile d'appel (245.13 KB)

La loi « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite », autrement appelée loi « anti-squat » ou loi « Kasbarian-Bergé » a été définitivement adoptée par le Parlement le 14 juin 2023.

Ce texte est actuellement examiné par le Conseil constitutionnel (lien vers la saisine) auquel vient d'être adressée une contribution extérieure signée par un très large collectif.

Nous estimons qu’en tant que dernier rempart contre la promulgation d’une loi qui nous déshonore, le Conseil constitutionnel a la responsabilité de rappeler solennellement que tous les droits et libertés, y compris – et en particulier – le droit de propriété, doivent s’incliner devant la nécessité de respecter la dignité de la personne humaine.

C’est dans cet objectif qu’en plus de l’analyse littérale des non-conformités de chaque article à la Constitution telle qu’interprétée par la jurisprudence habituelle du Conseil constitutionnel, nous avons également développé une analyse transversale de la loi dans laquelle nous appelons précisément à une évolution de cette jurisprudence qui apparaît de plus en plus déconnectée du sens initial de l’article 2 de la DDHC et de notre contrat social.

Vous trouverez ci-dessous la porte étroite ainsi que le communiqué de presse collectif.

 

Contribution extérieure au CC - loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite (476.82 KB) Voir la fiche du document

Communiqué de presse - porte étroite loi Kasbarian-Bergé (40.22 KB) Voir la fiche du document