Une mission d’information à l’Assemblée nationale sur la définition légale du viol et l’introduction de la notion de consentement a débuté ses travaux au mois de décembre 2023. Nous avons été auditionné·es par celle-ci le 2 février 2024. Vous trouverez ci-dessous nos observations écrites.

L’intégration de la notion de consentement dans la définition légale reste une question délicate, autour de laquelle nous avions notamment pu échanger lors de notre stage syndical sur le thème de la justice après #Metoo. A cette occasion, les biais de l’institution dans le traitement judiciaire des victimes de violences sexistes et sexuelles avaient notamment été mis en évidence. Cette audition nous a permis de faire état de notre réflexion sur le sujet.

En préambule, nous avons souhaité rappeler la volonté du syndicat de se mettre à distance d’une approche purement répressive de la régulation des rapports sociaux qui négligerait l’approche globale du sujet, compte-tenu de la dimension systémique des violences sexuelles et sexistes dans la société. Nous avons ainsi souligné la nécessité d’une part d’investir d’autres formes de réponses, telles que la justice civile et la justice restaurative, d’autre part d’élargir la réflexion sur le volet pénal à la façon de mener un véritable travail sur la recherche de la preuve et sur le sens de la peine. Nous avons en outre insisté sur le fait que, si elle devait advenir, la redéfinition du viol devrait impérativement s’accompagner d’une meilleure formation des magistrat·es, d’une valorisation de la collégialité, des espaces d’échange et de réflexion sur les pratiques institutionnelles.

Les chiffres objectivent le classement de 73 % des plaintes pour viol. Seulement 14,7 % de ces plaintes donnent lieu à une peine et moins d’1 % du nombre total estimé de viols ou tentatives de viol aboutissent à une condamnation. Sur la base de ces éléments, nous avons initié une réflexion sur les causes, en partie mêlées, de la faible judiciarisation du contentieux et du faible taux de condamnation des viols judiciarisés.

Certaines sont inhérentes au fonctionnement de l’institution judiciaire : délais de traitement des affaires nuisant à la recherche de la vérité, décisions dépourvues de motivation, recours massif à la correctionnalisation. D’autres, plus spécifiques, renvoient davantage à des réalités sociologiques et psychologiques, affectant le recueil de la parole des plaignantes et l’appréhension de ces affaires à tous les stades de la chaîne pénale. Certaines représentations stéréotypées et genrées propres au système patriarcal dans lequel l’institution judiciaire s’inscrit nécessairement, peuvent en effet affecter le travail de qualification des magistrat·es, et plus spécifiquement l’appréciation de la crédibilité de la plaignante ou l’interprétation de l’élément intentionnel du viol. L’existence de telles représentations peut ainsi contribuer à expliquer le fort taux de classements sans suite, certaines affaires étant d’emblée appréciées comme dépourvues de tout potentiel probatoire.

Partant, la définition du viol apparaît comme une source d’explication indirecte du faible taux de condamnation : les notions de violence, contrainte, menace ou surprise laissent certes place à une interprétation large, mais également à des appréciations stéréotypées.

Nous avons mis en balance les avantages et les écueils de l’introduction de la notion de consentement à la définition du viol, ainsi qu’appelé la vigilance des député·es sur un certain nombre de points.

S’agissant des avantages, l’introduction de cette notion, communément admise – y compris dans la législation de certains États européens en matière de viol -, largement utilisée dans les tribunaux et dotée de vertus politiques et pédagogiques, aurait le mérite de lever l’ambiguïté sur le respect par la France de ses engagements internationaux. Elle permettrait également de clarifier la volonté du législateur sur le fait que le consentement ne peut se déduire de la seule absence de résistance de la victime. Des difficultés probatoires persisteraient néanmoins, notamment dans les situations incluant l’état de sidération de la victime, la dissociation ou son incapacité à résister – en raison par exemple de l’exploitation indue d’une position dominante et/ou de son état de vulnérabilité – qui peuvent poser difficulté en pratique. Afin d’assurer un traitement plus efficient dans ces hypothèses, il s’agirait de conduire les magistrat·es à vérifier systématiquement que la personne mise en cause s’est assurée de la capacité de la personne plaignante à consentir à l’acte.

S’agissant des écueils, nous avons rappelé les risques juridiques relatifs à l’articulation des définitions au regard de l’application de la loi dans le temps. Nous avons également souligné que la notion de consentement est aussi critiquée, difficile à définir, et qu’elle laisse une place importante à la subjectivité de la personne qui l’interprète. Son introduction pourrait donc en pratique se heurter aux mêmes problématiques de représentations genrées et sexistes des acteurs que pour les notions de violence, contrainte, menace ou surprise.

Enfin, nous avons indiqué qu’une définition légale laissant supposer qu’un « oui », même clairement exprimé, suffise à exclure la caractérisation du viol, ne saurait être satisfaisante. Elle risquerait en effet d’enfermer des victimes dont le « oui » aurait été extorqué en raison du contexte et ainsi d’avoir un effet contreproductif. Pour éviter cet écueil, la convention d’Istanbul, ratifiée par la France, impose d’apprécier le consentement dans le contexte des « circonstances environnantes ». Cela a conduit certains Etats à lister à la manière anglo-saxonne les situations dans lesquelles un consentement, même clairement exprimé, ne serait pas valable (cas de la victime trop alcoolisée par exemple). Néanmoins, le peu de données actuellement disponibles comme leur caractère récent et multifactoriel rendent l’analyse délicate et invitent à la prudence.

 

Observations du Syndicat de la magistrature sur la définition du viol  (172.16 KB)